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Magazine en ligne de mfe Médecins de famille et de l’enfance Suisse

Temps de lecture environ 8 minutes.

Journal d'un médecin de famille atteint du coronavirus. De nouveau en bonne santé. Et pourtant, ce n'est pas une fin heureuse.

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Journal d'un médecin de famille atteint du coronavirus. De nouveau en bonne santé. Et pourtant, ce n'est pas une fin heureuse.

Fin février j’ai eu la chance de participer à la 17ème édition du Festival Clinical Microsystem à l’université de Jönköping en Suède, un Congrès interprofessionnel qui a pour particularité d’intégrer des patients qui sont appelés « living library ».

Dr. Sébastien Jotterand, membre du comité mfe

Un patient participe à chaque séminaire et peut intervenir. On peut l’interroger à loisir. Enfin une vraie approche centrée sur le patient ! Beaucoup de témoignages, dont certains bouleversants et un accueil magnifique. Beaucoup d’originalité aussi, partout des phrases écrites aux murs, soit inventées, soit de personnages célèbres, jusque sur le miroir des toilettes : pas de repos pour l’imagination. « If your compassion does not include yourself, it is incomplete », Bouddha

Ainsi je vais vous raconter mon histoire.

Samedi 14 mars je vais lire mon journal au tea-room de La Fontaine à Aubonne et un copain me rejoint. « Tu tousses? » me demande-t-il. « Non, c’est rien ». J’avais bien remarqué, mais sans y prendre garde. Le grand soleil, les conditions de neige idéale sur le Jura, m’encouragent à faire un tour à ski de fond aux Amburnex, magnifique !

Le soir, patapoum, je suis complètement cassé, au lit sans manger et je me mets en quarantaine. Dimanche matin, un peu de toux, pas de fièvre ; je pense à un « coup de mou » et je vais encore faire un essai de ski de fond, mais cette fois-ci je dois rentrer après 20 minutes : plus aucune force ! De retour à la maison 38° axillaire, céphalée, vertiges et cette faiblesse. Direction les urgences : je suis seul ! Après 20 minutes me voilà dehors, rassuré : saturation 96%, auscultation cardiopulm. sp, frottis fait. « Vous vous mettez en quarantaine ». « Oui, Docteur », que ça fait du bien d’obéir ! De toute manière je suis KO. Je renvois mes patients du lundi et je me fais porter mes plateaux repas dans la chambre d’ami.

24h plus tard, la cheffe de clinique de l’hôpital m’appelle : « le frottis est positif ». Ma famille se retrouve aussi en quarantaine. Heureusement, personne n’est à risque. Mais le 13 j’étais à la cérémonie d’enterrement de la tante de ma femme et le 12 en séance de comité de mfe, non seulement j’ai pu contaminer ma belle-mère, qui a 96 ans et qui fait la meilleure pizza du monde, mais en plus Philippe, le président de mfe ! Encore une fois heureusement, nous avions observé les distances sociales.

Je prends mon mal en patience, retrouve l’énergie de faire un peu de jardin, retourne lire mes mails au bureau le soir en cachette. Mes crachats sont bizarres, tantôt épais, puis mousseux, « c’est quoi ce machin que j’ai chopé ?!». Au 8ème jour, je rentre en voiture de mon escapade au bureau et sur le court chemin de la maison, dans la bise, je me mets à claquer des dents et à trembler de la tête aux pieds. C’est quoi ce truc ! Vite au lit, sans manger, comme au premier jour. J’ai de nouveau 38° de fièvre..., je crois me souvenir ce que les experts disaient à la radio « c’est souvent après 7-10 jours que surviennent les complications », je me vois déjà intubé sur le ventre aux soins intensifs et je dis à ma femme d’appeler le 144 si jamais. Mais n’y avait-il pas aussi parfois un rebond avant la guérison ? La fièvre ne monte pas plus haut, je passe une bonne nuit. C’était le rebond de fièvre, « la 2ème bosse du chameau », je décide de passer 2 jours sans lire mes mails et je vais beaucoup mieux !

Je recommence à travailler, j’ai beaucoup de temps, le cabinet est à moitié vide. Je téléphone à mes patients à risque, je vérifie qu’ils vont bien, qu’ils ont compris les consignes de l’OFSP, qu’ils ont de l’aide pour les courses, continuent leur traitement, je les rassure que le cabinet est ouvert, qu’ils peuvent venir, qu’ils peuvent aussi sortir se promener pour se faire du bien et on échange sur leur vécu. Je suis le programme « prévention primaire » lancé par un collègue du comité de MF Vaud, le Dr Jean-Pierre Vez de Chavornay, qui a eu beaucoup de succès dans notre canton : 800 médecins y ont participé et ont appelé entre 100 et 150 de leurs patients ! Cela fait du bien d’être proactif et les patients apprécient tellement ! Nous transmettons à nos membres avec l’aide la Société Vaudoise de médecine les documents et même des clips pour nos membres.

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Mais pendant ce temps, les morts s’accumulent > 400 morts dans le Canton soit ¼ des morts en Suisse, alors que nous représentons 10% de la population. Les EMS sont particulièrement touchés, il y a des foyers. Il faut savoir que pas seulement les cas positifs au frottis, mais aussi les cas suspects sont décomptés par le canton. Souvent les gens meurent dans leur lit, car dans leurs directives anticipées, ils ne souhaitaient pas être hospitalisés, encore moins aux soins intensifs. Des protocoles de soins palliatifs sont mis en place. Les soins intensifs eux sont prêts, un collègue est hospitalisé et intubé. Mon fils qui travaille à la réception d’un hôtel et habite en ville est atteint, 24h de fièvre, puis plus rien. Mon beau-frère de 62 ans ne va pas bien : dyspnée. Il voit son cardiologue car il a eu un STEMI il y 2 ans : pas de problème. 3 jours après il voit son généraliste qui lui conseille de se mettre en quarantaine. 5 jours plus tard, nous décidons d’aller le voir car au téléphone, on dirait qu’il a de la peine à souffler. Satu 89%, hypotendu, tachycarde. Finalement on arrive à le convaincre d’aller faire un frottis : il est hospitalisé car la saturation est encore descendue et le scanner est typique pour une pneumonie à Covid, mais comme il a mal au mollet, on lui fait aussi une IRM : embolie pulmonaire ! On vient de découvrir que c’est une complication typique du Covid. Les frottis nasaux seront deux fois négatifs.

Pour toutes ces personnes, ainsi que pour mes patients touchés, l’évolution aura été bonne.

Cette période nous a rappelé que la société peut aussi être solidaire de ses personnes à risques, que nous comptons les uns pour les autres, que nous aimons notre famille et nos amis et que nous ne devons pas oublier de le leur dire.

Aujourd’hui c’est le déconfinement, mais je suis triste. J’ai perdu mon ami Olivier à 56 ans d’une probable crise cardiaque. Olivier Bugnon était pharmacien, Professeur aux universités de Lausanne et Genève et co-chef du département des policliniques à Unisanté et pharmacien-chef de l’institution. C’était le chantre de l’interprofessionnalité. Le type le plus convivial que j’ai connu. Olivier je t’aime. Ma sympathie à ta famille.